Revenir | tout un été d’écriture #01

Un parfum. Son parfum. Il avait oublié le nom du parfum. Un parfum sans prétention ; un parfum sans qualités, sinon celle d’avoir été porté par une jeune fille, en un lieu et un temps qu’il avait traversé autrefois. Il était dans un magasin où il travaillait, son cœur s’est serré — expression toute faite, mais cette histoire qui remontait, le souvenir de la jeune fille et de ce lieu, il avait voulu l’idéaliser au risque de la caricaturer —, son cœur s’est serré, oui, et la voix féminine au fort accent américain avec les années aurait pu être la sienne, comme le parfum était le sien. Le parfum l’emportait sur la voix, il se retourna, tremblant (cette fois, c’était vrai, pas un cliché), et ce n’était pas elle, mais celle-là qui parlait, sans le savoir, charriait avec elle, dans son parfum, le rappel d’un territoire, non pas oublié, mais rangé dans un coin de mémoire, et cet endroit tout à coup, dans le parfum de cette femme, se déployait dans le temps et l’espace — il était de retour dans cette ville moyenne du Midwest, il sentait à nouveau sa main dans la sienne, pressant ses doigts dans le froid piquant de l’hiver, il avait dans sa bouche le goût de métal de l’air glacé qui brûlait ses poumons alors qu’ils marchaient le long des larges avenues pour rentrer chez elle, il sentait sur sa peau sa peau nue, leurs corps enlacés dans son lit dans la petite chambre où ils s’efforçaient de faire l’amour sans bruit pour ne pas réveiller sa mère somnolant devant la télé dans la pièce à côté, il sentait sur ses lèvres un baiser échangé en face du lycée après une violente dispute à la toute fin du printemps dans l’odeur des pins, il la sentait étreignant son corps dans ses bras à l’été sur un parking désert, attendant le bus qui l’arracherait à elle. Les scènes défilaient, les lieux ; l’odeur du parfum ravivait des odeurs qui n’étaient pas là, des sensations, des sentiments : c’était comme une bulle fragile qui l’enveloppait, l’isola du monde quelques instants, le transporta dans cet ailleurs si lointain, naguère si proche, avant d’éclater et de tout simplement disparaître.


Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture proposé par François Bon sur le tiers-livre : « construire une ville avec des mots. » (et toujours les vidéos sur ses chaines youtube et Vimeo).

Comments

2 réponses à « Revenir | tout un été d’écriture #01 »

  1. Avatar de Caroline D

    Drôlement, j’ai cru reconnaître, au début, un texte de toi déjà lu. Le parfum, la femme, le Midwest. Chose certaine, je m’y suis bercée. Dans cet espace que je te connais, à la fois lucide et naïf, avec des teintes de bittersweet, en noir et blanc. Un moment de cinéma. Et comme toujours, une écriture belle et tendre.

    1. Avatar de Ph.C.

      Merci Caroline pour tes gentils mots. J’ai quelques obsessions, je radote sans doute un peu 🙂
      Mon texte est une sorte d’appendice à un projet en cours, pour l’instant en suspens, c’est peut-être ça que tu as déjà lu : https://philippe-castelneau.com/no-direction-home-presentation-et-sommaire-partiel/

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