Chinatown. Quarante-et-une ruelles quadrillent les vingt-deux rues du quartier chinois, et c’est toujours très surprenant de voir à quel point les limites sont marquées. Il suffit de traverser une rue pour que les enseignes changent du tout au tout, on traverse un bloc et tout est alors indiqué en chinois, les boutiques et leurs étals, épices, poissons séchés, électronique bon marché, tout vous projette d’un seul coup en Asie, et il n’y a plus bien sûr ici que des Chinois, qui ne s’expriment qu’en chinois. Tout cela est fort sympathique, mais ce qui nous amène d’abord ici, c’est une ballade sur les traces de Kerouac. Ça commence par un arrêt au Li Po Cocktail, où Kerouac et Alan Ginsberg venaient refaire le monde (mais c’est fermé en ce début d’après-midi, et il faudrait y revenir le soir, mais nous n’en aurons pas le temps), puis on coupe en traversant la Jack Kerouac Alley pour rejoindre la librairie City Lights, au 261 Columbus Avenue et Broadway. L’allée Jack Kerouac est une minuscule ruelle, et des plaques au sol portent des citations de l’auteur (et de quelques autres).
« L’air était doux, les étoiles si jolies, la promesse de petites ruelles pavées si grande que j’ai pensé que j’étais dans un rêve. » (in Sur la route)
L’allée porte le nom de Kerouac parce que la légende veut qu’il l’empruntât pour se rendre de chez lui jusqu’à la librairie de son ami, le poète Lawrence Ferlinghetti. De fait, l’allée est comme un passage secret, des fresques oniriques recouvrent des murs décrépits, et nos pas suivent les mots gravés au sol qui nous conduisent de Chinatown à un quartier plus interlope, bar à hôtesses et diseuses de bonne aventure. Et tout de suite à l’angle, il y a City Lights. Trois étages de livres (dont un sous-sol), et j’y trouve, en plus de deux recueils de Ferlinghetti, une œuvre raisonnée de Dorothy Parker éditée par Penguin, sur beau papier et avec une couverture sous forme de comic strips, réalisée par le dessinateur canadien Seth. Il y a aussi Dharma Bums de Kerouac dans la même collection, illustré cette fois par Jason, mais Jason habite près de Montpellier, du coup ça fait moins exotique.
A deux pas de City Lights, au 540 Broadway, il y a le Beat Museum. « Come on in ! », me dit Jerry, qui tient à la fois le musée et la boutique attenante. « I will, je lui dit. Let me get something to eat first. »
Jerry a un petit air de Jerry Garcia, des Grateful Dead. Il a dans les soixante ans et porte un t-shirt noir et un bandana. Il est doux, souriant et aime bien discuter — et on a discuté, plus tard, de Kerouac et de Dean Moriarty.
Après déjeuner, de retour au Beat museum, la visite est rapide, mais agréable. Peu de choses vraiment extraordinaires, mais on passe un bon moment. Il y a une veste ayant appartenu à Kerouac que je lui ai vu porter sur des photos, et c’est, je crois, ce qui m’impressionne le plus. Dans la boutique, une baignoire remplie de pulps et de romance en poche à 2 $, des livres, des posters, des badges et une impressionnante collection de Playboy vintage, classés par année. Il y a celui d’octobre 1967, la date de ma naissance, et je suis tenté de l’acheter, mais 14,95 $ la revue, c’est un peu cher (d’ailleurs, je retrouverai le même numéro un peu plus tard dans la journée, à Haight, pour seulement 6,95 $ !).
La veille au soir, en rentrant vers San José par la route d’Oakland, nous avons longé un moment une voie de chemin de fer, alors que passait un train de marchandises. J’ai pensé alors, en voyant ces wagons chargés de containers, à Kerouac, et aussi au bouquin de Vollmann, Le grand partout, et je me suis demandé si, dans l’obscurité de la nuit, certains hobos y avaient trouvé refuge le temps d’un trajet, le temps d’une nuit.
Une photo par jour : 182 — San Francisco, octobre 2013
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