Il fallait prendre un lieu, et j’ai choisi celui-là. Non parce qu’il m’était familier (il l’était), mais parce que je venais d’emménager dans ce lieu, et je voyais là un moyen de me l’approprier plus rapidement ; je voulais que ce lieu me devienne intime, en plus d’être le lieu de l’intime. Je voulais créer avec lui une relation particulière, tisser entre ce lieu et moi un lien unique : en connaitre les évolutions et les secrets, quand bien même ces évolutions et ces secrets relèveraient de mon seul imaginaire. Mais un imaginaire qui par le biais de l’écrit s’impose comme possible, puis comme probable, et enfin, comme seule réalité objective, parce que seul témoignage imprimé. Que ce lieu prenne, non pas vie, mais une autre vie. Il y a ce lieu d’avant, ce lieu qui m’est étranger, et il y a, dans une autre dimension — appelons là virtuelle —, ce lieu qui désormais fait corps avec moi.
Ce lieu n’est alors encore qu’un point émergent dans un magma informe, une oasis de vie potentielle dans un désert stérile : il me faut construire autour. Et comme à l’initiative de ce lieu il y a un atelier en ligne, je prends à internet l’idée des jeux de simulation de vie, « expression utilisée pour qualifier un jeu vidéo qui crée un monde virtuel constitué de véritables êtres vivants » (Wikipedia).
Les premières tribus nomades croyaient évoluer dans le chaos. Aussi, au moment de faire campement, leur chaman faisait ériger dans la terre un totem — Axis mundi reliant le Ciel, la Terre et le monde inférieur —, et autour de ce totem, dans ce lieu devenu sacré, les hommes pouvaient s’installer. En consacrant le lieu, il le rendait habitable : ils reproduisaient ainsi symboliquement, à l’échelle humaine, la création de l’univers par les dieux. Comme le soulignait Mircea Eliade dans Le sacré et le profane, pour devenir leur monde, le lieu devait être préalablement créé.
Je me suis arrêté dans ce lieu, et j’y ai planté mon stylo-totem pour pouvoir à mon tour m’y installer.
Mais, pour qu’il devienne mon monde, je dois préalablement le créer. Aussi, d’abord, je peuple ce lieu : deux personnes, un homme et une femme, et le lieu prend vie. Autour de ce lieu, je construis une maison. Autour de cette maison, un village. Je nomme ce village, et le village s’anime. Il y a d’autres gens dans ce village. Pour tous, ce sont des silhouettes aperçues, des histoires entendues, plus ou moins floues, toutes recréées, réinventées, pour venir peupler le lieu. Parmi ces personnes, certaines viennent de plus loin, et le lieu prend une dimension spatiale ; d’autres viennent après, et le lieu prend une dimension temporelle. Et ces personnes interagissent, des liens se tissent et forment un réseau de plus en plus touffu. Le lieu, avec ces personnes, interagit avec d’autres lieux, et des connexions apparaissent.
Dans les jeux de simulation de vie, le joueur, qui observe du dessus le monde qu’il a créé, contrôle indirectement ses personnages, parfois en leur donnant des directives précises, d’autres fois en leur laissant leur libre arbitre. Avec ce projet, des contraintes sont posées, des indications données, mais ce sont les personnages qui s’écrivent, en interagissant les uns avec les autres.
Comme dans les jeux de simulation de vie, il n’existe pas de but ni de fin définis. Le texte prend vie, de et par lui-même.
Tout l’été, pendant dix semaines, François Bon anime un atelier d’écriture sur le net. Chaque dimanche, une proposition est mise en ligne sur tiers livre. A chacun des participants ensuite (une quarantaine, pas moins !) d’en livrer jusqu’au jeudi suivant son interprétation sur ouvrez.fr.
Pour la semaine 6, deux exercices. Voici ma version du premier, qui consistait à décrire « le plus précisément possible le texte auquel on veut aboutir« .
(Petite parenthèse : les plus perspicaces d’entre vous auront noté une petite pause dans mon projet 52 : ce magnifique atelier avec François Bon en prend le relais pour le moment).
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