Seul dans la cuisine, j’écris ces quelques notes sur mon carnet. Tout le monde dort encore, à l’exception de Bob, levé comme moi au petit matin et avec qui j’ai pris un café un peu plus tôt. Debout dans la cuisine, face à la fenêtre, nous avons regardé en silence le soleil se lever sur les Sandia mountains.
J’étais réveillé à 4 h ce matin, et j’ai eu beaucoup de mal à me rendormir, comme chaque jour depuis le début de ce voyage. Au fur et à mesure que nous avançons, des choses vues, des personnes que l’on croise, ressurgissent de mon passé. Elles font écho en moi, et tout à la fois me ramènent loin en arrière et me projettent vers l’avenir. Ce journal, ces notes qui viendront plus tard commencer un livre, sont une manière d’exorcisme.
En juillet 2012, quand je visitais mon père à l’hôpital, alors qu’il était allongé sur ce lit qu’il ne devait plus quitter, nous avons parlé de mon prochain voyage à New York, prévu le mois suivant. « Tu vois, me dit-il, j’ai beaucoup voyagé : l’Afrique, l’Europe, le Proche-Orient, mais l’Amérique, jamais. L’Amérique, c’est toi qui le fais pour moi. »
Au lendemain de sa mort, en septembre, ce voyage s’est imposé comme une évidence. La prise de conscience du temps qui passe, des années écoulées, des souvenirs et des moments perdus, des gens qui comptent et que l’on n’a pas revus, il y avait tout cela, mais surtout, il y avait l’envie de faire ce voyage pour lui.
Mon père, désormais, je le porte en moi, et ces lieux que je traverse à nouveau, il les découvre enfin. Ce voyage, vraiment, je le fais avec lui.
Lorsque tout le monde fut réveillé, nous sommes sortis prendre un petit déjeuner mexicain chez Abuelita’s, à Bernalillo, à 20 kilomètres de Rio Rancho. J’étais déjà venu ici en 1994, et j’ai aussitôt reconnu le lieu, aussi étrange que cela paraisse. À l’intérieur, quelques tables et ça et là, de vieux distributeurs de sodas exposés. Le repas fut incroyablement savoureux, exactement comme dans mon souvenir.
Angela, Byron, son mari et leur fille Mason, devaient partir ensuite, et il fut difficile de se dire au revoir. Nous avons pris beaucoup de photos les uns des autres, tentative maladroite et émouvante de figer ce moment avant qu’il ne soit plus lui aussi qu’un souvenir. Trop d’années avaient passé depuis la dernière fois.
En quittant le restaurant, nous sommes allés directement à l’aéroport rendre notre voiture de location. Une page du voyage se tournait soudainement, le road trip était fini, il ne restait des 1656 kilomètres parcourus qu’un peu de poussière sur nos chaussures, des souvenirs, des notes dans un carnet et quelques photos pour plus tard.
Une photo par jour : 201 — chez Abuelita’s, à Bernnalillo, NM
Fragments d’un voyage : Le Nouveau Mexique, octobre 2013
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