Traverser le village. Passer à travers les ruelles rassurantes, à l’ombre des platanes, sous le soleil de mai. Ne croiser personne sinon le chat blanc, allongé comme il se doit sous son banc, le chat qui distraitement me regarde passer. Quitter les habitations, suivre la route sans savoir où elle mène, prendre un chemin de traverse, couper à travers les vignes, et toujours personne en vue. La sieste, sans doute, comme le chat, immuable, chacun à sa place, le chat sous son banc, les hommes dans leurs fauteuils où dans leurs lits, et moi qui marche sans bruit, tâchant de ne pas perturber l’équilibre précaire de cet instant fragile, où le monde semble s’être arrêté pour que je le contemple.
Et ainsi, je marche, et marche encore, après les platanes, les amandiers et quelques oliviers, je marche sur le sentier qui m’entraine vers le sous-bois. Je passe devant l’usine désaffectée, qui ne l’est pas, en vérité, mais qui aujourd’hui est arrêtée, une usine ancienne, perdue au milieu de nulle part, étrange incidence à l’orée de la forêt. J’entends le bruit de l’eau et je m’avance, un mince filet coule encore que je suis, et j’arrive enfin devant une maigre cascade, mais une cascade quand même, un pont que j’emprunte et qui conduit à un chemin mal dégagé qui lui-même débouche sur deux portes rouillées fermées par une vieille chaine et un cadenas oxydé, avec sur le côté, une boite aux lettres en fer éventrée, et derrière les portes, à une centaine de mètres, une vieille maison dont je ne saurais dire si elle est encore habitée. Rien ne bouge, là non plus, et je rebrousse chemin sans faire de bruit quand, sur le côté, je vois, coincée dans les herbes et cachée par les arbres, une barque rouge déposée là Dieu sait quand. La frêle embarcation est trouée en plusieurs endroits et la végétation l’a envahie, insectes et rongeurs y ont depuis longtemps fait leurs nids. J’en fais le tour, surpris de cette présence incongrue au milieu de nulle part, au beau milieu d’une forêt, près d’un cours d’eau, certes, mais si petit qu’elle n’aurait jamais pu voguer dessus. Un bateau échoué au milieu de la forêt, un esquif baptisé Le Paradis, c’est écrit sur sa poupe, caché par le feuillage des arbres que perce le soleil qui vient taper et faire encore briller sa peinture rouge écaillée. Je m’assois à côté, savoure l’instant volé au temps, la douce chaleur du printemps, le clapotis léger de l’eau, je ferme les yeux et me dis qu’en effet, le paradis, à cet instant, c’est ici.
Le Paradis, c’est ici (Projet 52 – épisode 1)
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Une réponse à « Le Paradis, c’est ici (Projet 52 – épisode 1) »
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Un très beau moment, en effet
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