Moi, le froid, l’hiver, j’aime ça. Ma voiture un peu moins, elle s’enrhume, tousse, rien n’y fait, et voilà, hier matin, elle ne démarre plus. Un coup de pinces, et c’est assez pour relancer la machine et rouler jusqu’au garage, mais guère plus loin. Le 31 décembre, le garagiste, lui, ne chôme pas. Il me dit de l’attendre, il revient, une autre intervention, je reste dans le garage, je tourne et prends quelques photos. Le chien me connaît, depuis le temps. Il se frotte avant de s’éloigner doucement. Le vieux B. est là aussi, il me dit qu’il préfère laisser faire son fils, ma voiture il faut régler l’ordinateur, je ne sais pas si c’est un ordinateur, mais pour lui c’est pareil, c’est de l’électronique pareil, et c’est la bonne vieille mécanique qu’il aime. Un autre de son âge s’amène, un vieux paysan d’origine marocaine et ces deux-là se connaissent bien, bientôt ils sont tous les deux jusqu’au cou dans un moteur, pour le plaisir. Ils parlent, tantôt ils rient, tantôt ils sont graves. Le vieux Gérard est mort hier soir, ils disent. Il laisse deux tracteurs. C’est triste, deux bonnes machines et personne pour les reprendre.
Le fils revient, s’affaire sur ma voiture. Le diagnostic est sans appel. Rapport de test, batterie HS. Le dernier jour de l’année, la batterie est à plat. Je le sentais ces derniers jours, j’avais du mal à l’allumage. Mais moi, les pièces peuvent être hors d’usage, on ne les trouve plus. La voiture, on déleste le compte en banque et ça repart. S’alléger pour mieux repartir, mû par une énergie nouvelle : finir l’année avec une fable moraliste.
Le vieux marocain nous salue et s’éloigne. Ma voiture roule, je repars à regret. Je n’y connais rien en mécanique, rien de rien, vraiment, mais j’aime l’ambiance des vieux garages, les bidons d’huile, les carcasses ouvertes des vieilles bagnoles, l’odeur d’essence et les mains plongées dans le cambouis. J’aurais pu être écrivain mécano comme on est prêtre ouvrier, ou bien agriculteur, dès l’aube dans le champ à remuer la terre, vivre ma foi de l’écriture à l’épreuve du feu, être au plus près des hommes. J’ai choisi autre chose, plus dans mes cordes, croyais-je. Mais quand je partirais, je laisserais quoi ? Peut-être pas même l’équivalent de deux tracteurs.
photo : Sauteyrargues, décembre 2014.
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