1998 (Projet 52 – épisode 9)

On ne peut pas la laisser là, je lui ai dit. Tu plaisantes, elle a fait. Y’a personne par ici, et personne ne remarquera rien. Et le corps, j’ai fait ? On en fait quoi, du corps ? Qu’est-ce que tu veux qu’on en fasse, elle a dit. Le corps, on le laisse dedans, pardi ! Tu es folle, j’ai dit. T’es complètement folle ! Ils vont le voir, le corps. Faudrait déjà qu’ils le cherchent, elle a dit. Comme veux-tu qu’ils sachent ? Ils croient tous qu’elle est abandonnée, la maison. La voiture, c’est pareil, quand ils viendront dans le coin, il en restera rien, ni de la voiture, ni du vieux. La voiture, elle aura été bouffée par les herbes, aussi sûr que le vieux aura été bouffé par les vers ! Arrête j’ai fait, dis-pas ça, c’est horrible, non ? Quoi, c’est horrible, on l’a pas tué, le vieux, il est mort tout seul ! Il est mort parce qu’on lui a fait peur, non ? C’était son heure, elle a dit. C’est comme ça, c’est la vie. Ni toi ni moi on voulait le buter, non ? On était même pas armé, alors arrête. Ouais, j’ai fait, mais on est quand même rentré chez lui par effraction, et quand on a déboulé dans sa chambre, ça lui a fait un choc et il est tombé, alors moi j’dis qu’on l’a tué un peu quand même ! Tu débloques complet, elle a dit. C’est ta charité chrétienne qui te perdra, toi. C’était son heure, que j’te dis. Et personne ne viendra le pleurer, le vieux. Personne ne savait même qu’il était encore là. Si on s’était pas baladé par là l’autre soir, jamais on l’aurait trouvée, la baraque, tellement elle est cachée dans la forêt. Et à moitié en ruine, en plus. Peut-être, j’ai fait, mais on s’est servi de la voiture, et maintenant ils la cherchent. C’est nous qu’ils cherchent, elle a fait, et ils peuvent pas nous reconnaître. Demain, on sera loin, et c’est un p’tit casse de rien, qu’on a fait. Une épicerie, tu crois que ça va les occuper longtemps, les flics ? Ils ont du plus lourd à régler avant, et la voiture, d’ici à ce qu’ils la retrouvent, on s’ra loin. Et pourquoi on le laisse pas là, le vieux. Dans sa baraque, j’veux dire ? À cause des mômes, elle a dit. Les mômes ils venaient le voir, tu sais bien, il a cru qu’on était eux, avant de voir qui on était. Et alors ? j’ai dit, j’comprend rien à c’que tu dis. Réfléchis, elle a dit. Essaie de cogiter un peu, bon sang ! Les mômes ils connaissaient le vieux, ils vont revenir, et s’ils le trouvent raide dans son lit, ils appelleront leurs parents, et ils appelleront les flics. Et alors ? j’ai fait. On l’a pas tué, tu l’as dit toi même. C’est comme s’il était mort de sa belle mort, t’as dit. Et alors, et alors, tu sais dire que ça, toi ! elle a dit, mais pour penser, tu t’poses là, hein ? S’ils le trouvent mort, y vont chercher, les flics. Et s’ils cherchent autour, ils trouveront la voiture. Et alors ? j’ai fait encore. Tu disais y’a deux minutes qu’y trouveraient rien. T’as vraiment pas de jugeote, elle a fait. Tu penses pas, hein ? Si les mômes y s’pointent et que le vieux il est pas là, ils repartiront et basta, personne ne saura rien, et nous on sera loin, d’ici à c’qu’ils retrouvent la caisse et le vieux dedans, si jamais ils les retrouvent un jour, comme j’t’ai dis !
Ok, j’ai fait, ok. T’es pas obligée de m’parler comme ça. Il commence à faire nuit, on le met dans l’coffre maintenant, le vieux ? Ouais, t’as raison. Pour une fois, t’as raison, mais faut vraiment tout t’expliquer à toi, hein ? Aller, prends-le sous les bras, je t’ouvre la route.

Voilà une bonne chose de faite, elle a dit, quand on a refermé le coffre. Aller viens, on s’casse maintenant. Attends, j’ai dit, c’est quoi ces cris ? Y’a pas de cris, elle a fait, mais elle a écouté quand même et j’ai vu qu’elle a eu peur, elle aussi. J’sais pas c’que c’est, elle a fait, mais ça vient du village. Le mieux, c’est de faire comme si de rien n’était et d’aller voir. On dirait qu’y a du monde, on se mettra avec eux, personne ne nous verra.
On est reparti vers la route, chacun avec notre sac à dos, et quand on a déboulé dans le village, c’est comme si tout le monde était dans la rue. Ils chantaient tous et y’en a un qui nous a pris dans ses bras. Il pleurait et nous on comprenait rien à c’qu’il disait. Qu’est-ce qui s’passe, j’lui ai demandé. Pourquoi vous pleurez comme ça. On est champions, y m’a fait. On est champions du monde ! Et y m’a embrassé. C’est cool, j’ai fait. Alors elle, elle m’a regardé en coin, et elle m’a fait un clin d’œil et elle m’a dit : nous aussi, on est les champions du monde !

Licence Creative Commons


Posted

in

,

by

Comments

19 réponses à « 1998 (Projet 52 – épisode 9) »

  1. Avatar de mooonalila

    Diabolique ! 🙂

    1. Avatar de Ph.C.

      Merci 🙂 C’est une impro totale, dont le point de départ est la date sur la vignette collée sur le pare-brise de la voiture.

  2. Avatar de karmic
    karmic

    haha allez les bleus!

  3. Avatar de yann jouan
    yann jouan

    ahaha sympa! J’attendais la chute!

  4. Avatar de mooonalila

    Coucou, je t’ai nommé au Versatile Blogger Award , félicitations ! Aucune obligation de participer, juste le plaisir de faire découvrir l’univers de bloggers que l’on apprécie …
    http://mooonalila.wordpress.com/2013/06/30/versatile-blogger-award/
    😉

    1. Avatar de Ph.C.

      Merci pour l’award, je vais regarder ça en détail ! 😉

      1. Avatar de mooonalila

        🙂 C’est à la fois sympa et un peu contraignant (mettre les liens vers 15 blogs, ça prend du temps !) Ne te sens pas obligé…

  5. Avatar de ladyelle134

    J’attendais la chute moi aussi ! Excellent ! et la photo avec la date de la vignette…. c’est bien trouvé ! award mérité !

  6. Avatar de renee marquis
    renee marquis

    Et oui, les choses de la vie aussi terribles soient-elles. Très belle étude angoissante mais tellement vrai.

    1. Avatar de Ph.C.

      Pas si angoissantes, quand même… A moins que l’on parle du foot !

  7. Avatar de belle soeurette
    belle soeurette

    vous avez fait ca?

    1. Avatar de Ph.C.

      La photo et le texte, c’est moi, l’histoire est purement fictive 😉

      1. Avatar de karmic
        karmic

        tu peux ecrire la suite? un p’tit noir sans sucre comme je les aime ça 😉

  8. Avatar de Ph.C.

    Une suite ? Hmmm…. Je vais y réfléchir 😉

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.