- En anglais, on dit « fontain pen », stylo fontaine. La source inépuisable de l’écriture, les mots qui se déversent, qui coulent sur la page, s’accrochent parfois aux rugosités, les mots rageusement rayés jusqu’à trouer le papier (effet conjugué de la pointe et de l’encre humide).
- Outil de jardin, râteau à main, cisaille et élagueur tout-en-un ? L’écriture comme du jardinage, d’abord on déblaie, on élague, on arrache les mauvaises herbes et les ronces.
- Fountain pen. Corne d’abondance, fontaine de Jouvence. Ratures plus souvent que littérature.
- je me souviens d’avoir lu une interview de Laurent Génefort dans la revue Bifrost, il y a 5 ou 6 ans. On l’interrogeait sur la raison pour laquelle il écrivait des romans de plusieurs centaines de pages. Selon lui, la littérature de science-fiction avait suivi l’évolution des techniques : d’abord de courts récits, écrits à la main ou tapés à la machine, publiés en revues. Puis des romans standard, machines électriques et diffusion de masse. Enfin, le traitement de texte, le roman-fleuve. On peut imaginer, suggérait-il, avec la publication en ligne, des romans sans fin, des livres univers qui s’étendraient à l’infini.
- “The surrealists believed that objects in the world possess a certain but unspecifiable intensity that had been dulled by everyday use and utility. They meant to reanimate this dormant intensity, to bring their minds once again into close contact with the matter that made up their world.” Jonathan Lethem—The ecstasy of influence. Quelle est l’influence qui sommeille dans mon stylo ?
- Oh, et puis, de toute façon, je n’écris presque plus jamais au stylo, encore moins à la plume.
- « La main est constituée d’une partie proximale, élargie, à laquelle sont appendues cinq structures cylindriques, les doigts. On lui décrit une face palmaire (ou antérieure) et une face dorsale (ou postérieure), une extrémité proximale (ou supérieure) et une extrémité distale (ou inférieure), et un bord latéral et un bord médial. La partie proximale peut être divisée en trois parties : l’éminence thénar, latérale, le creux de la main, central, et l’éminence hypothénar, médiale. Elle comporte sur sa face palmaire (la paume) trois plis de flexion, les lignes de la main. » (Wikipedia) C’est l’éminence hypothénar qui pose problème, quand on est gaucher et qu’on écrit au stylo plume : l’éminence hypothénar frotte l’encre encore humide et l’étale sur la feuille. On s’en met plein les doigts aussi. (L’encre sur la peau ne part pas facilement au savon et à l’eau).
- En chiromancie, cette éminence, on l’appelle le Mont de la Lune. C’est assez plaisant de se dire qu’on barbouille son texte à l’aide du Mont de la Lune.
- L’odeur de l’encre : l’encre, substance liquide mise en solution de colorants d’origine végétale, minérale ou chimique, dans un solvant » (Wikipedia, encore). L’écriture, mise en solution de substances chimiques présentes dans un cerveau.
- C’est un Parker sonnet vermeil (argent recouvert d’or). Bel objet. Trop ?
- La vraie question : pas le stylo, la marque, le modèle, le type d’encre ou la couleur. La vraie question : pourquoi écrire ?
- Motifs en léger relief sur le corps du stylo. Surface rugueuse sous les doigts. Métal froid, reflets dorés à la lumière. Oxydation légère. Négligence peut-être, charme certain. Acheté non pas d’occasion, mais en solde, retrouvé par le vendeur au fond d’un tiroir. Coup de foudre immédiat. Objet qui, sans avoir jamais servi, a paradoxalement déjà une histoire — comme en témoignent la patine et la vieille étiquette, minuscule carré blanc accroché à un mince fil rouge sur lequel quelqu’un a écrit au crayon le modèle et le prix (en euros : pas si vieux, finalement ce stylo).
- Plutôt qu’une cartouche d’encre, j’utilise la pompe à encre. J’ai le goût des rituels. Comme l’artisan affute ses outils avant d’attaquer son travail, je prépare mon instrument avant de me lancer dans les corrections à la main.
- L’écriture, le gros œuvre, je le fais avec le traitement de texte ; les corrections, au stylo. Comme Apple inscrit sur ses produits : « Designed in California. Assembled in China », je pourrais dire de mes livres : conçu dans un cerveau humain, fabriqué sur ordinateur, finitions main.
Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture proposé par François Bon sur le tiers-livre. Vidéo explicative ici, sur la chaîne youtube de François Bon.
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