S’il te semble que l’apre vérité du monde ne s’affiche pas au grand jour, mais se cache dans quelque recoin obscur, qu’elle s’enfante le plus souvent dans la souffrance et la mort, tu n’en ignores pas la lumineuse volupté.
N’es-tu pas sensible au crissement du gravier sous tes pas, alors que tu pousses la grille qui conduit au parc ? Et tu prends plaisir à écouter peser, lourd, le ciel sur la ville. Tu souffres avec l’oiseau qui chante son amour éperdu pour la jeune femme et que la jeune femme n’entend pas, assise à quelques pas de là. Mais tu n’es pas l’oiseau, et à toi, elle sourit.
La nuit a passé. Elle repose nue, encore endormie sur le lit défait. Les draps, agités après l’amour, ne forment plus que de rares vagues qui s’échouent, languissantes, sur la délicate soie de sa peau rose thé. Son corps est comme un rocher qui retient ses algues cheveux, et ses lèvres sont d’écorces de fruits amers.
Le soleil qui jusqu’alors paressait au pied du lit, se levant enfin, baigne bientôt son visage, l’obligeant à ouvrir les yeux. Son regard, d’abord perdu dans la blancheur matinale (elle cligne rapidement plusieurs fois des paupières, lissant ses longs cils roux contre la lumière), quitte la lucarne pour se déplacer obliquement le long du mur blanc, s’attarde sur la chaise en bois clair à sa gauche — ses vêtements, dessus, jetés à la hâte (elle se souvient à cet instant qu’elle est nue, elle sent son corps gonflé, usé par le tien) —, et se tourne enfin pour se poser sur toi.
Elle se redresse doucement et timidement te sourit. Puis elle se lève, s’enroule dans le drap et, nonchalante, vient se blottir dans tes bras.
Et vous restez ainsi, longtemps, l’un contre l’autre.
Le bonheur, ce sont ces instants d’éternité volés à la mort.
Gustave Klimt – Danae (1907)
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