Depuis la nuit du web, on cherche à définir ce que serait une écriture proprement numérique, c’est à dire une manière d’écrire, de « faire livre » disons, qui ne pourrait exister hors les outils du net. On le sait, la machine à écrire, puis les traitements de texte sur ordinateur, ont profondément modifié le rapport qu’une autrice, un auteur, entretient avec son texte. Internet est par ailleurs une révolution certainement aussi importante que l’invention de l’imprimerie.
Alors, l’écriture numérique ? Se résume t-elle à ce que nous publions sur nos blogs ? Les fils de discussions sur les réseaux sociaux sont-ils une forme nouvelle d’écriture ? Le livre numérique au format Epub lui-même est-il l’outil qui permet à cette écriture d’éclore ? Je ne sais pas. Je ne crois pas.

Une littérature qui n’existerait que par et pour le web ? Certains blogs, fuir est une pulsion, La Grange, pour en citer deux, s’en rapprochent certainement. Les expériences vidéos qu’on regroupe sous l’appellation « Littéra-Tube » aussi. Dans son journal d’octobre, Guillaume Vissac écrit la chose suivante, qui me semble une piste intéressante :
(…) partons de deux constats. Déjà, faire son deuil de considérer l’epub comme forme. Ni sur le plan créatif (mieux vaut opter pour un site web), ni sur le plan du commerce (décroissance absolue du marché numérique depuis près de dix ans pour nous). Autre constat : il faut se rapprocher des usages de chacun. Beaucoup utilisent leur téléphone portable pour lire, et pour naviguer entre des contenus. Mais très peu dans le cadre de la lecture longue. Ce sont les storys instagram et les threads Twitter qui ont raison, et qui seuls exploitent correctement la logique des flux. De micros articulations entre de micros contenus. Imaginons un site web ou une application (à ce stade, c’est exactement la même chose). Imaginons, donc, un espace qui soit pensé pour afficher un texte phrase après phrase. Il faut que le texte s’y prête. Mais admettons que oui. On accède à une page très simple à prix libre. L’accès à ce livre peut donc être gratuit. Le texte affiche une phrase à la fois, decontextualisée du reste. Il n’y a pas de notion de paragraphe, voire de chapitre. Quatre actions sont possibles. Partons du principe que nous sommes sur un smartphone, mais l’équivalent s’envisage évidemment sur navigateur. Scroller vers le haut remonte à la phrase précédente. Scroller vers le bas fait apparaître la phrase suivante. Balayer vers la gauche permet de partager la phrase sur des réseaux X ou Y. Balayer vers la droite permet l’équivalent d’un like (ou vice versa). C’est tout. Le lecteur, la lectrice a un compte, ou en tout cas est identifié d’une façon ou d’une autre. Chaque phrase qu’on like est stockée quelque part et produit un genre d’arborescence, ou de squelette. L’identification ou le cookie de session est également nécessaire pour sauvegarder notre position dans le texte, et pouvoir reprendre la lecture où on l’a arrêtée. On peut aussi accéder à une synthèse de son parcours et de ses phrases likée. Je crois que l’idée derrière l’idée, c’est de se dire : chaque lecture produit au fond un livre différent. Là, chaque page de lecture est stockée et peut être partagée avec d’autres. Venez comparer le livre XX tel qu’il a été lu (et donc sauvé) par Bidule ou par Machin. C’est et ce n’est pas le même livre. Au-delà, on peut produire des statistiques. Par exemple quelles sont les phrases les plus likées, et quel parcours de lecture ça dessine. L’appel à prix libre ne se ferait qu’à deux moments : avant de commencer le livre, et une fois qu’on l’a terminé. Il n’est pas impossible qu’on puisse ainsi rémunérer sa lecture après sa lecture.
Un peu plus loin, il ajoute (mais je crains qu’il ne vous perde) :
(…) pour réaliser mon prototype d’outil de lecture web en cascade, il faut moins lorgner sur un système de like type réseau social qu’opter au fond pour un grand formulaire en temps réel ajaxé (Mais sans doute convient-il d’user d’une autre terminologie, par exemple : formulaire asynchrone de connexion en AJAX et JSON ou, tout simplement, formulaire dynamique. À moins qu’il ne faille en recourir au mot clé auto-submit (ce n’est pas sale, je préfère préciser).)
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