
Parfois, je me demande si ce monde est réel. Parfois, je crois que seul existe le monde intérieur qui m’occupe le plus clair de mon temps. La représentation que je me fais du monde extérieur n’est qu’une abstraction de mon esprit, une tentative élaborée et plutôt réussie d’organisation du chaos. Ainsi, quand je suis en voiture, je me dis quelquefois que mon cerveau dessine la route, à mesure que j’avance, à partir des éléments disparates transmis par l’extérieur, et la recompose en fonction de ma vision unique du monde ; que c’est pareil pour chacun de nous. Ce que j’appelle vert n’est vert que pour moi, et ainsi de suite.
Je lis David Mitchell, et je tombe sur cette phrase qui tombe à pic :
Wigner prétend que la conscience humaine concrétise un univers tiré de tous les autres possibles.
Je me souviens de mes lectures de Mircea Eliade. Pour les premiers hommes, le monde était chaotique, définitivement incompréhensible. Nomades, ils avançaient contre le monde, au risque de leur vie. Au moment de bivouaquer, ils plantaient un totem fermement dans le sol, et le cercle formé autour de ce point devenait pour une nuit le centre du monde, et en restant dans ce cercle, ils étaient protégés. Ces premiers hommes ont peu à peu organisé le monde de manière à, sinon maîtriser le chaos, le maintenir à distance, et nous, aujourd’hui, nous en avons perdu l’image première : nous ne voyons plus, derrière les apparences, la réalité du monde, de même que nous feignons d’oublier que notre parole est d’abord une parole magique. Nous avons perdu le lien avec nos origines. Nous oublions que nous ne voyons le monde qu’à hauteur d’homme :
C’est grâce à la position verticale que l’espace est organisé en une structure accessible aux préhominiens : en quatre directions horizontales projetées à partir d’un axe central « haut » — « bas ». En d’autres termes, l’espace se laisse organiser autour du corps humain, comme s’étendant devant, derrière, à droite, à gauche, en haut et en bas. C’est à partir de cette expérience originaire — se sentir « jeté » au milieu d’une étendue, apparemment illimitée, inconnue, menaçante — que s’élaborent les différents moyens d’orientatio ; car on ne peut vivre longtemps dans le vertige provoqué par la dés-orientation. — (Mircea Eliade — Histoire des croyances et des idées religieuses tome 1 [Éd. Payot]
Dimanche gris. Fatigue accumulée. Deux excuses pour lire le plus clair de la journée, avant de livrer ici des théories peut-être fumeuses. J’ai fini de lire « Écrits fantômes » de David Mitchell, dont j’ai déjà parlé. Un livre recommandé par Queyssi, et que je recommande à mon tour.
Le livre terminé, j’ai lu quelques pages des carnets de la grange, de Karl Dubost. Je suis toujours autant séduit par sa manière de faire œuvre, par petites touches. Le 11 octobre, nous écoutions visiblement le même podcast, lui à Fujisawa, moi en route vers Montpellier.
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