Noir, c’est noir. Sans doute que l’écriture est poreuse, et qu’elle déteint sur le mental. Va savoir ce qui passe de l’un à l’autre, du projet en cours qui démarre très sombre, ou des opportunités qui se dessinent, plutôt heureuses. Mais à lire le blog ces derniers mois, l’impression — fausse — est celle d’une profonde et sourde mélancolie.
Sans doute pourquoi aussi j’ai autant de mal à m’y mettre vraiment à ce projet, et pourtant, j’ai l’intuition de tenir quelque chose d’important — important pour moi, s’entend : tout est relatif, mais c’est suffisant pour griser l’esprit et stimuler la créativité. Le pendant de L’appel de Londres, la version parisienne en quelque sorte. Et comme il était question de Paris dans L’appel de Londres, peut-être qu’ici je parlerais de Londres. Je ne sais pas. Aragon disait, je crois, qu’il ne planifiait rien. Que ses livres s’écrivaient au fil de la plume, en quelque sorte, contenus tout entier dans la première phrase. Là, j’ai une idée, des notes, pas grand-chose de plus. Les contours sont flous, mais l’ensemble se tient déjà bien. Et puis cette idée d’Aragon encore qui m’occupe, le « mentir-vrai », mélanger la fiction et le réel jusqu’à écrire une légende, non pour soi mais pour le monde, la légende plus souvent rêvée qu’éprouvée des années adolescentes ; « Non faire concurrence à l’état civil, mais faire concurrence à la réalité qui (nous) est imposée », disait Malraux : « la puissance transfiguratrice du réel. » Tout ça, plus stimulant à mes yeux que la triste autofiction contemporaine.
Les 50 nuances de générateur, ce petit jeu de cut-up à partir de paragraphes générés par une machine et traduits par google avant d’être retravaillés par moi, est terminé. Un premier jet, revu de fond en comble après deux mois à reposer. Puis relu encore après deux autres mois. Les scories éliminées, une fois l’agitation passée, le texte est plus bref, plus tendu. Terminé — enfin ! — ce « machin » qui m’aura finalement pris pas mal de temps, sauf que maintenant je ne sais pas trop quoi faire de cet étrange olni (objet littéraire non identifié).
Et puis, il y a l’audio. Je ne dirais jamais assez merci à Guillaume Vissac de m’avoir demandé d’enregistrer un passage de mon livre pour publie.net. J’y suis allé à reculons, mais quel plaisir ensuite ! Surtout, le travail avec Lilac Flame Son est venu m’apporter un équilibre qui me manquait. Un jour peut-être, je mettrais en ligne la maquette de cette chanson que nous avions enregistrée tous les deux au sortir de l’adolescence et qui devait ouvrir sur une période faste de créativité finalement restée en suspens. Il aura fallu attendre 30 ans pour reprendre l’aventure commencée ce jour-là dans un petit studio d’enregistrement de Combs-la-Ville qui nous avait coûté nos économies. Cela dit, quelle aventure ! Le voyage fut beau, et les retrouvailles (musicale, s’entend — nous ne nous étions jamais vraiment perdus autrement) belles également. Parce que c’est beau, aussi, une amitié vieille comme la nuit des (de nos) temps qui trouve à s’exprimer de la sorte. C’est peu, sans doute, mais c’est notre trésor, et il n’a pas de prix.
Et la suite ? La suite arrive, le prochain morceau est en phase d’affinage, bientôt à maturité.
Reste la photo. Je garde toujours en tête le parcours de Sergio Larrain, qui dans la dernière partie de sa vie sortait chaque jour prendre une seule image, qui était pour lui comme un haïku. Je réalise beaucoup moins de photos qu’avant, physiquement je veux dire. Mon œil, lui, photographie des moments sans que soit nécessaire de recourir à l’appareil, et c’est un petit bonheur intime à chaque fois. Ce moment-là, éphémère, n’appartient qu’à moi. Quelques fois, ces derniers mois, je suis sorti avec le SONY pour capturer de tels instants. Parfois ça marche, parfois non. Tout se joue dans le mental. Quelques-unes de ces photos apparaissent sur le blog, d’autres, je les garde pour moi, généralement parce que mes enfants sont dessus. Mais la démarche compte désormais plus que le résultat. Le chemin plutôt que la destination. Pareil pour les haïkus qui s’écrivent tous les jours sur Twitter. Qui s’écrivent, parce que souvent ça vient tout seul, sans que j’ai l’impression d’y être pour grand-chose. C’est bancal, ça ne respecte rien des règles du genre, mais c’est un jeu plaisant et une mise en route quotidienne pour l’esprit, presque un rituel. Et quelle joie de voir Marlen Sauvage, par exemple, qui m’a rejoint dans l’aventure, sur sa page Facebook. Plaisir de l’échange, encore, comme pour les Vases Communiquants, et la revue La Piscine, dont le premier numéro arrive, et c’est peu dire qu’il sera beau quand bien même il se fait un peu désirer (c’est pour ça que c’est un numéro zéro d’ailleurs : il est là pour essuyer les plâtres).
Alors, le noir, oui, mais le noir est une couleur chaude.
Photo : 29 décembre 2015
Votre commentaire