Longtemps que je le sais. À l’adolescence, bien sûr, c’était une certitude, mais dès avant, dès l’enfance j’ai su que j’étais différent, différent de toi, papa, et diffèrent de mes frères. Mes attirances n’étaient pas les vôtres. Je ne partageais pas vos choix. Quand j’en ai eu vraiment conscience, je me suis dit qu’il valait mieux attendre : une fois majeur, parti de la maison, je pourrai bien faire ce que je veux, et puis surtout, je ne voulais pas blesser maman. Toi, je m’en foutais un peu. Tes partis pris seront toujours plus forts. Les humiliations quotidiennes que je subissais, tu ne pouvais pas savoir, hein ? Tu n’imaginais pas ça possible, pas sous ton toit, pas la chair de ta chair.
Tu n’avais pas de mots assez durs pour ces gens-là, et le soir, devant le journal, le dimanche midi, à table, après l’église, tu t’en délectais d’en dire du mal. C’était devenu une obsession. Des années que ça durait. Les préjugés étaient tes certitudes. Moi, je ne disais rien. Et puis, il y a eu la manif pour tous, et nous devions te suivre dans la rue ; la première fois qu’on défilait, et pour toi aussi, je crois que c’était la première fois. Tu y voyais une grande cause, mais pour moi c’était le trop-plein. Je ne pouvais plus prendre sur moi, faire semblant d’être ce que je n’étais pas. C’est pour ça que je suis venu te voir dans le salon. Tu étais assis dans ton fauteuil. Mes mains tremblaient, alors j’ai serré les poings et sans baisser les yeux, l’aveu si souvent ravalé, je te l’ai jeté à la gueule. Maman a poussé un soupir d’effroi, mais toi tu n’as rien dit. Ton regard était noir et tu avais la colère en travers de la gorge : tu t’étouffais à l’heure de ma confession. J’étais libéré, tellement soulagé que je te l’ai dit une deuxième fois, pour être sûr que tu comprennes : « papa, je suis de gauche. »
L’aveu (microfiction)
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3 réponses à « L’aveu (microfiction) »
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« Les préjugés étaient tes certitudes. »
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On sent ta vérité là-dessous.. l’origine d’une part de ténèbres… l’origine tout court
Il y aurait tant à dire, une vie d’écriture !-
Merci Françoise, et pourtant, cette histoire n’est (heureusement) pas la mienne. Mon seul « coming out », finalement, c’était l’écriture !
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