Premier épisode : I get around – The Beach Boys
Où il est question de Stevenson et de traumatismes de l’enfance, et comment Gérard Palaprat, contre toute attente, peut conduire à la découverte de la perfection pop.
Enfant, j’avais un tourne-disque sur lequel j’écoutais des histoires lues enregistrées sur des 33T aux belles pochettes illustrées. Ma favorite était une adaptation édulcorée de l’île au trésor de Stevenson que je me repassais en boucle, et comme j’aimais alors les bruits de la mer, les chaînes et les grincements du bateau qui accompagnaient le récit !
Mon frère, de dix ans mon aîné, avait quant à lui depuis longtemps passé l’âge des rêves de folles épopées maritimes. Sa chambre jouxtait la mienne, et certainement fatigué d’entendre inlassablement les mêmes récits surjoués, il fit un jour irruption dans ce qui était devenu ma cambuse : non sans un certain sens de la dramaturgie, d’un geste brusque et catégorique, balayant du revers de la main le bras de l’électrophone posé sur le sillon, il mit fin (pour un temps au moins), aux aventures que je partageais avec Long John Silver et ses acolytes.
Cherchait-il à me signifier, d’une manière brutale et quelque peu vaine, que l’heure était venue de quitter l’ile mystérieuse de l’enfance pour aborder aux rivages escarpés de l’adolescence ? En tout cas, il décréta qu’il était temps pour moi de commencer à écouter de la «vraie» musique. Disant cela, il m’offrit un 45t de Gérard Palaprat, Pour la fin du monde, que je me mis religieusement à écouter en boucle (j’étais comme on le voit un garçon plutôt obéissant).
C’était une autre époque et si le nom de ce chanteur ou le titre de ce morceau ne vous évoque rien, alors je ne saurais trop vous conseiller d’en rester là. Il suffit d’imaginer des coeurs très « pop française » sur une orchestration minimale, pour ne pas dire simpliste, chantants des paroles mièvres bien dans l’esprit de ces années-là (le disque a été enregistré en 1971). Quant à la pochette, elle vaut son pesant d’or : imprimée en bichromie noir & blanc et bleu fadasse, elle présente notre chanteur en pantalon noir pattes d’eph à rayures, cheveux longs, barbe épaisse et veste blanche col pelle à tarte du plus bel effet, incrusté sur un décors simulant l’espace, ses pieds reposant sur la terre, avec au dessus de lui une autre image qui voit sa tête surgir de ce qui doit être la lune.
Chacun mesurera la perversion de mon ainé qui, ayant lui-même acheté ce disque quelques mois plus tôt, en avait très vite mesuré la vacuité, et m’en imposait à présent l’écoute. Mais peut-être était-ce en définitive une sorte d’épreuve initiatique, destinée à me conduire, après de longs et tortueux détours, sur le chemin du rock, à la découverte de mon saint Graal.
Si je me lassais assez vite du rêve hippie de Palaprat, il m’ouvrit pourtant de nouveaux horizons, et je cherchais bientôt par moi-même de nouvelles chansons à écouter, commençant ainsi une chasse à de nouveaux trésors. C’est à ce moment je crois que je pris conscience que mon tourne disque, un tout-en-un, proposait également un tuner me permettant de me balader sur les grandes ondes (la Fm ne viendrait pas avant plusieurs années) ainsi qu’un magnétophone pour enregistrer mes morceaux préférés.
Je dérobais à ma mère quelques cassettes sur lesquelles des années plus tôt elle nous avait enregistré, ma soeur et moi, récitant les fables de La Fontaine, et je possédais bientôt en propre plusieurs heures de musique où le début des chansons était systématiquement tronqué et précédé d’un clac sonore correspondant à la pression de mes doigts sur les touches Play et Record, enfoncées simultanément, et où les morceaux s’enchaînaient de manière abrupte, laissant parfois encore entendre pour quelques millième de seconde les voix appliquées d’enfants de trois et cinq ans.
J’avais neuf ans, et c’est à ce moment que j’ai pour la première fois consciemment croisé la route de Brian Wilson. Il y avait ce morceau déjà entendu dont le refrain m’obsédait, et je n’en connaissais ni le titre, ni le nom des interprètes, mais voilà : un jeune chanteur français venait d’en reprendre un très court extrait dans un tube qui viendrait bientôt envahir les ondes française. C’est grâce à Laurent Voulzy que j’appris que la chanson s’appelait I get around et le groupe qui la chantait, les Beach Boys. Je guettais alors des heures entières le moment où passerait Rockcollection à la radio pour n’enregistrer que ce passage-là, me constituant ainsi plusieurs minutes enchainées du célèbre refrain, certes pas l’original, ni même le morceau que je préfère, loin de là, des californiens, mais un élément fondateur ancré au plus profond de l’enfance, le début d’une mythologie en propre, qui me conduira trente-quatre ans plus tard à ne pouvoir contenir mon émotion lorsque je verrais Brian Wilson le reprendre sur la scène du Casino de Paris, alors même que j’avais su rester digne quand il avait quelques minutes plus tôt chanté God only knows et Surf’s Up.
Partir d’une chanson, d’un évènement, d’une photo ou d’un objet et raconter ses impressions : C’est seulement du rock’n’roll (mais j’aime ça) est une promenade aléatoire et subjective dans mes souvenirs musicaux. Pas de contrainte de publication, ça vient comme ça peut, mais ces textes courts, publiés en ligne, sont néanmoins appelés à former un ensemble cohérent.
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