Saint-André-de-l’Europe — du lieu, 4 | Bergounioux lieu public

Passé le porche, on longeait à toute vitesse la nef par le bas-côté. Quelques fidèles, deux ou trois, quelle que soit l’heure et le jour, assis face à la croix s’indisposaient parfois des rires étouffés ou des éclats de voix, des pas précipités qui résonnaient, sourds, dans l’édifice ; parfois, un sacristain levait un sourcil vaguement inquisiteur à leur passage. La plupart du temps, les croyants, abimés dans la prière, ne voyaient même pas la volée de gamins qui s’engouffraient, passé la croisée, côté gauche, par une porte donnant sur un étroit escalier en colimaçon. L’église proprement dite finissait là, pour eux. Derrière cette porte, c’était leur repère. En bas, tout de suite à gauche, les toilettes, un lavabo sale sous un petit miroir oxydé, un reste de savon jaune et sec posé au bord, une odeur de javel et de moisissure qui vous piquait le nez. À droite, un couloir ouvre sur deux ou trois pièces auxquelles on n’accèdera jamais, mais au fond, une double cave voutée de belle taille, où ils ont leurs QG : la deuxième salle, c’est l’atelier où une année ils ont passé des mois à construire leurs canoés, bois pour les armatures, fibres de verre, colle et ponçage, en prévision du camp d’été dans le sud de la France ; la première salle avec une table et des chaises, c’est celle où ils se réunissent, un banc, tout de suite à droite, dans la pénombre, où ils posent leurs sacs, un évier au fond à gauche — le flexible fixé au robinet déverse un mince filet d’eau froide ou tiède ; il y a, posé sur le rebord, la moitié déchirée d’une vieille éponge humide, quelques verres, un pack de détergent au trois quarts vide dont le déversoir est partiellement bouché par du liquide vaisselle séché. Personne ne vient jamais ici à part eux. Ils forment une confrérie secrète, une quinzaine de gosses entre 12 et 15 ans, qui se retrouvent là les mercredis après-midi, encadrés par des « grands » de 5 ou 6 ans leurs ainés, libres comme jamais ils ne l’ont été, planifiant les weekends à venir, rêvant de découvrir, au cœur de la forêt où ils iront planter leurs tentes, à quelques dizaines de kilomètres de Paris, un trésor, une demeure abandonnée ou le mystérieux château du grand Meaulnes.


Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture proposé par François Bon sur le tiers-livre. Vidéo explicative ici, sur la chaîne youtube de François Bon.

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