Écriture avec écrivain

« Alors, au fond, qui êtes-vous, S.L. ? »

— Qui je suis ? Je suis quelqu’un qui fait certaines choses que les gens reçoivent d’une certaine manière, qui n’est pas forcément celle que j’avais envisagée.
Sous la surface, je suis un cœur adolescent. Une revanche à prendre. Et j’attends l’aventure. Je raconte des histoires. Quel que soit le médium, et peut importe le support, c’est ce que je fais. Je dis ce que j’ai à dire, et je le fais dans l’espace offert par les opportunités qui se présentent à moi. Parfois je sais que je n’aurais pas deux fois l’occasion de faire ou dire les choses de telle ou telle façon. Il faut savoir saisir sa chance. Peut-être la personne que je suis est tout entière dans mon travail. À moins que ce soit le contraire : la personne que je suis se cache peut-être dans l’envers de mes livres… Peut-être aussi qu’il n’y a rien. L’envers est l’endroit, les variations infimes.
Quand j’écris, je ne jette rien. Je projette. Je travaille par aplats. Je gratte la surface à la recherche de l’espace négatif, ce qu’on ne voit pas, mais où tout se passe. Toujours à noircir des carnets, sans jamais les relire pourtant… Je travaille par arborescences. J’attrape au vol des idées des images et des mots, pris ici ou là, et je jette tout dans mon chaudron. Ensuite, je touille, je touille, et je porte à ébullition ! Alors je plonge les mains dans la marmite, je me brûle au contact de la matière brute, la lave gluante de l’œuvre en devenir. Je colle des mots sur les phrases, je rature, je réécris, je sature la page de signes jusqu’à ne plus pouvoir rien ajouter, ni plus rien pouvoir lire…
Ce qu’il faut, c’est écrire jusqu’à se perdre. Perdre le sens de la phrase, des mots, de la mesure. Devenir voyant. La page une fois écrite, tu dois la prendre de plein fouet. Ça doit secouer, te faire trembler. Ça doit faire mal. Un écrivain devrait pouvoir mourir pour une page d’écriture. Un écrivain à faim et soif. Jamais rassasié. Toujours prêt à bondir, prêt à partir. Un vagabond.
Et tout cela, pour rien, ou si peu. Tu commences et tu rêves d’un triomphe mais ce triomphe ne vient jamais et tu finis seul, vieux, malade, ton corps n’est que douleur, tes yeux n’arrivent même plus à lire et tout ce qui te reste, c’est une arme que tu sais avoir glissée dans le tiroir du haut de la commode, une arme chargée, prête à l’emploi, un moyen sûr d’en finir avec toutes ces souffrances. Et cette vie passée, ces rêves engloutis, toutes ces pages noircies, les livres écrits et ceux qui restent à faire, cette vie sur le point de finir dans un éclat de poudre, cette vie, tu le sais, aura été un coup pour rien.

— S.L., je vous remercie.


Texte écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture proposé par François Bon sur le tiers-livre : « En 4000 mots, construction d’une nouvelle » Tous les auteurs et leurs contributions à retrouver ici.
(et toujours les vidéos de François Bon sur ses chaines youtube et Vimeo).


Posted

in

, ,

by

Comments

6 réponses à « Écriture avec écrivain »

  1. Avatar de Caroline D

    Au début, ce fut lui. Je le reconnus. Le coeur adolescent, le chaudron, l’écriture jusqu’à se perdre. Mais plus loin, plus tard, à l’envers peut-être, ça ne pouvait être qu’un autre. Parce que pas une seule fois je n’avais imaginé l’ombre d’une arme dans ses tiroirs. À moins peut-être qu’elle ne soit dans la commode d’une histoire. À l’envers, à l’endroit. Où commence quoi? Chose certaine, ça tremblait et faisait trembler. Des secousses d’humain et de rêve. Et moi j’aimais.

    1. Avatar de Ph.C.

      Merci beaucoup Caroline… Et très belle année 2019 à toi !

  2. Avatar de francoiserenaud

    Est-ce un rêve ? une introspection sans doute, une vision pour plus tard… va savoir qui nous sommes !

    1. Avatar de Ph.C.

      Une reconstruction plutôt qu’une introspection. Comment ? Comme il est dit dans le texte… Plusieurs figures qui se mêlent, et moi j’observe.

  3. Avatar de cecilecamatte
    cecilecamatte

    Décidément, maintenant que j’ai le temps, va falloir que j’aille écouter les vidéos et décider si je m’y lance dans cet atelier d’hiver… excellente année à toi et à ceux qui te sont chers, Philippe. Que l’année te chouchoute et soit féconde en mots.

    1. Avatar de Ph.C.

      Belle année à toi aussi !

Répondre à Caroline D Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.