Notes sur l’écriture prises à la main, au jour le jour. Reportées partiellement ici pour mémoire.
30 août 2025 :
S’il fallait être ému pour émouvoir les autres, je pourrais écrire des livres qui feraient trembler les mains et battre les cœurs et, comme je suis sûr de ne jamais perdre cette faculté d’émotion, que la plume me donne d’elle-même sans que j’y sois pour rien et qui m’arrive malgré moi d’une façon souvent gênante, je m’en préoccupe peu et je cherche au contraire non pas la vibration mais le dessin. (Flaubert, lettre à Louise Colet, samedi soir 11-12 décembre 1847)
« non pas la vibration mais le dessin » : voici le leitmotiv qui doit guider mon stylo quand j’écris. Toujours garder présent le dessin, celui que je me suis fixé. Ce qui fait la force du livre, c’est sa structure, sa construction. Sans ça, il s’effondre. Sans émotion, il ne vibre pas, pour reprendre le mot de Flaubert. Mais, comme lui, j’ai mon trop-plein d’émotions qui irrigue mes phrases. Je n’ai pas à m’en occuper. Au contraire, je dois le domestiquer, pour qu’il ne dicte pas la conduite du livre.
5 septembre :
J’ai imprimé les textes du roman en cours. Travailler sur papier m’apparaît de plus en plus vital, au moins au moment des relectures, pour identifier les failles, les axes d’amélioration, les schémas.
7 septembre :
Trop de fatigue encore pour me replonger dans les textes imprimés hier. Ensemble trop hétéroclite, trop d’incohérences, de rugosités. Une masse informe, difforme peut-être, mais qui contient sous forme encore gazeuse : un livre. Un roman classique, sans doute, mais dans lequel je voudrais glisser, comme en contrebande, de l’expérimental.
11 septembre :
Il n’y a de continuellement bon que l’habitude d’un travail entêté. Il s’en dégage un opium qui engourdit l’âme. (Flaubert, à Louise Colet, 16 juillet 1851)
Flaubert me motive à écrire. Je n’écris pourtant pas encore. J’ai repris la méditation. Je m’accorde septembre pour récupérer des traitements. Mais dès avant octobre, il faudra me remettre à l’écriture.
Flaubert, encore, fin octobre 51, toujours à Louise Colet :
Je me tourmente, je me gratte. Mon roman a du mal à se mettre en train. J’ai des abcès de style et la phrase me démange sans aboutir. (…) Je m’en désole tellement que ça m’amuse beaucoup. J’ai passé aujourd’hui ainsi une bonne journée, la fenêtre ouverte, avec du soleil sur la rivière et la plus grande sérénité du monde. J’ai écrit une page, en ai esquissé trois autres.
Je dis que je n’écris pas : c’est faux. Lundi, j’ai écrit d’une traite le rêve que je venais de faire. Un texte forcément un peu décousu, mais qui me semble important. L’amorce peut-être d’une nouvelle. Un texte dans l’esprit de celui que j’avais écrit l’année dernière pour une amie (un projet désormais au point mort).
16 septembre :
Les notes d’Antoine Compagnon en préface au 4e tome de La Recherche me rassurent sur la manière encore brouillonne avec laquelle j’avance sur mon texte :
En 1913, le deuxième volume annoncé existait sous la forme d’une rédaction à peu près suivie. Mais pour le troisième, le plan ébauchait seulement un montage à parti de développements discontinus, que l’on retrouve dans les cahiers de brouillon. Certains ont été intégrés au texte définitif, mais si transformés qu’il ne s’agit pas d’y identifier des fragments primitifs. Pour le milieu de La Recherche, entre Guermantes et Le Temps retrouvé, le plan de 1913 et le texte définitif constituent vraiment deux romans distincts.
Un montage à partir de développements discontinus : voilà où j’en suis, qui rejoint ce que j’avais noté de Claude Simon, qui, lui-même, convoquait Flaubert ! Je suis en bonne compagnie !
17 septembre :
Je dois faire entrer le réel dans mon livre. On y croisera Hervé Guibert. On y croisera peut-être Daniel Darc. Soit. Il faut qu’on y croise des œuvres, des tableaux qui émeuvent aux larmes mes protagonistes, des chansons, de celles dont on veut croire qu’elles accompagnent le début d’une histoire.
Les choses se répondent, de loin en loin. D’autres reviennent, qui vous bouleversent quand d’abord elles semblaient anodines. C’est ça — et le style ! —, qui feront le livre, bien plus que l’histoire elle-même.
18 septembre :
Le style avant l’histoire, je veux bien, mais l’émotion avant tout. Sinon, on obtient un texte sans histoire.
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