Notes sur l’écriture prises à la main, au jour le jour. Reportées partiellement ici pour mémoire.
21 août :
« On est rarement heureux avant un film, on ne l’est jamais après, il faut donc tâcher de l’être pendant », écrit Truffaut à Rivette en 1964.
C’est un peu pareil pour l’écriture d’un livre, non ? Je ne suis pas malheureux dans ma vie, mais c’est quand j’écris, quand je suis « pendant » le livre, que je me sens pleinement entier, si cela signifie quelque chose.
22 août :
Dans un documentaire que lui consacre Arte, Wim Wenders dit d’Alice dans les villes que c’était le film qui devait lui prouver à lui-même qu’il pouvait tourner un long-métrage comme personne d’autre :
J’ai décidé de changer les règles et d’aborder le film comme un road movie, de façon à pouvoir tourner les scènes dans l’ordre chronologique. C’était une décision importante et je n’avais pas de scénario. Chaque jour, on tournait ce qui se présentait. (Wim Wenders)
C’est ainsi que j’ai écrit Motel Valparaiso. « Alice dans les villes, souligne la voix off du documentaire d’Arte, dévoile les thèmes que Wenders reprendra tout au long de sa carrière : le sentiment de solitude et d’aliénation face au reste du monde, le voyage en tant que découverte de soi, une rencontre avec un enfant ou une jeune femme, puis la quête commune d’un sens perdu. » Sur les deux premiers points au moins, c’est moi également.
26 août :
La fatigue est trop forte pour faire quoi que ce soit de mes jours ; les nuits n’apportent pas le repos dont j’aurais besoin. Je désespère de mener à bien les deux livres en cours d’écriture. Pourtant, tout est là pour me permettre d’y arriver… Sauf l’énergie, toute entière mobilisée par la maladie.
Dans quelques jours, quelques semaines, je reviendrai plus fort, et j’aurai alors sur ma table de travail ces deux projets, enrichis des notes prises au fil des jours, et un troisième livre, plus ancien et déjà presque achevé. Dans les jours sombres comme aujourd’hui, je dois me souvenir de ça !
28 août :
J’ai soif de longues études et d’âpres travaux. (Flaubert, avril 1846)
Après presque un mois de radiothérapie, et alors qu’il me reste encore deux séances à faire, j’ai retrouvé — passée trop vite — l’énergie d’écrire. Allongé sous l’accélérateur linéaire, tandis que les rayonnements émis par l’appareil traversaient la peau jusqu’à pénétrer la tumeur à irradier, j’ai revu le plan de mon livre, identifié des parties encore à écrire, et même dénoué un nœud qui me bloquait depuis de longues semaines. Mais je n’ai rien noté ensuite, et je me retrouve aujourd’hui comme hier, désœuvré, bon à rien. Depuis lundi, je range mon bureau, trie et réarrange livres et disques, ajoute et déplace des meubles. Tout cela m’épuise, bien sûr, et je ne suis pas complètement dupe : c’est une manière de procrastiner en ayant l’air de m’agiter. Je sais, cependant, que c’est aussi une façon de me remettre au travail.
Je reprends mon Flaubert, et qu’écrit-il, sinon : « Je vais me mettre à travailler, enfin ! enfin ! »
29 août :
Flaubert : « J’ai imaginé, je me suis ressouvenu et j’ai combiné (14-15 août 1846). Et aussi : « Travaille, médite, médite surtout, condense ta pensée, tu sais que les beaux fragments ne sont rien. L’unité, l’unité, tout est là ! (…) Mille beaux endroits, pas une œuvre. Serre ton style, fais-en un tissu souple comme la soie et fort comme une cotte de mailles. » (14 octobre 1846)
Les beaux fragments ne sont rien ! Je dois unifier mes textes, couper, remonter, réécrire. Le livre, comme le style doit être souple comme la soie, fort comme une cotte de mailles ; fluide, et implacable !
Lundi prochain, premier jour de septembre. S’ouvre alors une période de 4 mois que je peux consacrer à l’écriture. Comme l’écrit Flaubert, encore : « Je vais tâcher, cet hiver, de travailler assez violemment. » (14 juillet 1847)
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