By the fire

Nous voici en octobre, et c’est l’automne qui s’impose, la saison couleur de feu. Octobre, et je prends un an de plus. L’humanité se divise en deux groupes : ceux qui redoutent la période qui s’ouvre et attendent avec impatience que passent les saisons froides jusqu’au printemps, et ceux qui se réjouissent du temps qui vient. Je fais partie de la seconde catégorie. J’ai toujours aimé l’automne et l’hiver, et j’aime particulièrement octobre. Des souvenirs d’enfance, sans doute : la fête d’anniversaire, les balades dans la forêt toute proche le dimanche après-midi, les marrons chauds, les comics lus au coin du feu. Plus tard, la découverte d’Halloween, aux États-Unis. Les États-Unis, pays cher à mon cœur, aujourd’hui… à feu et à sang, au propre comme au figuré.

By the fire: près du feu, au coin du feu, par le feu. Plusieurs traductions possibles en français. Le feu sacré. Le feu qui couve ou qui gronde. Jouer avec le feu. Le feu auprès duquel on s’assoit pour lire. Le feu intérieur ?

Les difficultés pour terminer même un petit essai ne consistent pas en ceci que notre sentiment demande pour terminer le morceau un feu que le contenu antérieur et effectif n’a pas pu produire de lui-même, elles proviennent plutôt du fait que même le plus petit essai exige de l’auteur d’être content de soi ou perdu en lui-même, état à partir duquel il est difficile d’apparaître dans l’air d’une journée ordinaire sans le décider avec force et sans incitation externe, si bien que, plutôt que d’achever rondement l’essai et de pouvoir en sortir tranquillement, à cause de son agitation on prend la fuite et qu’alors la fin doit être accomplie de l’extérieur avec des mains qui, précisément, doivent non seulement travailler mais aussi s’accrocher fermement. (Kafka, journal, le 29 déc. 1911 — trad. de Robert Kahn, éd. Nous)

Évidemment, j’ai ouvert mon Kafka au hasard, et le hasard fait qu’il parle là à la fois du feu et de la difficulté d’écrire. « Même le plus petit essai exige de l’auteur d’être content de soi ou perdu en lui-même ». Je souligne, tant je crois que c’est important.

Depuis quelque temps, je tiens un journal. J’en ai parlé plusieurs fois dans mon infolettre. Un journal pour moi-même, vraiment. Foutraque, brouillon, sans queue ni tête. Mais j’y note des idées que je retravaille plus tard. 

À quoi se destine un journal ?

J’ai bien tenté de lire le Journal du dehors d’Annie Ernaux, un journal que je devrais apprécier parce que j’ai écrit sur le même mode durant les années 1990, mais non, ça ne passe pas, je m’ennuie, et je me dis que mon propre journal est aussi ennuyeux, mais il y a le Journal Extime de Michel Tournier, lui, parfait, plus resserré, plus dans l’illumination, tel devrait être un journal, une collection de saillances. Un exercice de vigilance. Saisir les pensées au vol, les images avec quelques photos, les sourires et les souffrances.

C’est Thierry Crouzet qui parle, dans son carnet de route publié chaque mois en ligne. Pour arriver à ce qu’il préconise, je pense qu’il faut tricher : pas la matière brute, mais éditer le texte, retravailler l’ensemble, ne garder que ce qui a une vraie valeur, au moins aux yeux de l’auteur. Mon infolettre se nourrit de mon journal, mais elle n’en est pas un.

Revenons au feu : by the fire. C’est le titre du dernier album de Thurston Moore (si, vous savez : l’ancien chanteur et guitariste de Sonic Youth). Un dialogue renoué entre les inspirations expérimentales et le désir de faire du rock, nous dit Stuart Berman dans sa chronique de l’album pour le site Pitchfork

By the fire envoie du bois, si vous me permettez l’expression. Plus accessible peut-être que du Sonic Youth, pour le coup, mais sans concession non plus. Moore souffle sur les braises de Sonic Youth et du Velvet Underground, et les morceaux s’étirent parfois plus de 16 minutes, sans que l’auditeur ne se lasse jamais. Parfois, les guitares sonnent, mélodiques, comme celle de Tom Verlaine. Parfois, c’est un déluge de sons. La méthode utilisée par Moore : utiliser le bruit apocalyptique pour atteindre une paix extatique, dixit l’article précité. Ça résume assez bien l’album. La bande-son du moment, en ce qui me concerne.


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Comments

2 réponses à « By the fire »

  1. Avatar de Thierry Crouzet
    Thierry Crouzet

    Bien sûr que je coupe… même quand j’écris parce que je sais que je vais publier. Il ne s’agit donc pas d’un journal intime, juste d’un journal.

  2. […] Pour répondre à Philippe Castelneau : un journal écrit pour être publié ne peut pas être intime parce que la publication implique des révisions, l’idée même de publication contraignant l’écriture. Je n’ai tenu un journal intime que tant que je ne l’ai pas publié et quand je continue ce journal, assez rarement, je ne le publie pas. Pour moi, le plus beau des journaux est celui de Gombrowicz, publié quasiment tous les mois au fil de l’eau dans la revue Kultura. […]

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